Toussaint par Ludion libre
Il est le plus atypique de tous les pêcheurs du golfe. A cinq heures du matin il est déjà accoudé au comptoir devant un verre de bière. Il raconte que sa maman lui disait qu’une bière vaut un bon beefsteak et que lui, en bon fils, en a déjà mangé des troupeaux.
Sa vieille barque traditionnelle prend l’eau de toutes parts. Il la repeint de temps en temps avec les fonds de pots qu’il récupère dans les poubelles de l’aire de carénage. Au fil des années elle a pris l’apparence d’un patchwork joyeux et bariolé sur lequel il s’éloigne fièrement dans les premières lueurs du jour. A quai, tout en démaillant son poisson, il harangue le badaud qui finit toujours par céder devant « une soupe » de poissons ruisselants et colorés. Avec le plus grand sérieux il effectue la pesée sur une antique balance Roberval soudée par la rouille. Après un dernier et furtif coup d’œil sur l’acheteur, il annonce le prix qui est toujours sensiblement le même ; seule la quantité varie. Personne ne se plaint jamais. Toussaint a l’œil très sûr. Chaque client en a toujours pour son appétit et pour son argent. Finalement il connait peut-être encore mieux les hommes que les poissons…